We Work it @ KILT Association
Cela fait cinq mois qu’on voyage, qu’on visite, qu’on découvre et on peut gentiment dire qu’on en a vu du paysage, qu’on en a vécu des choses et qu’on en a rencontré des personnes. Mais l’accomplissement d’un tel voyage ne serait pas totalement entier si on n’allait pas à la rencontre de la population, pierre angulaire majeure de l’expérience, et dont on en sous-estime trop souvent l’importance. Le fait d’être voyageur, de n’être que de passage (souvent court et bref) nous donne parfois l’impression de passer son temps à voir les choses mais sans réellement y participer, quand bien même on essaie au maximum d’aller chercher le contact avec les habitants. La posture du voyageur ne peut (ne doit) ainsi pas se résumer uniquement au rôle de simple spectateur, qui croit apporter la bonne parole en comparant sa vision des choses avec le mode de vie local, et qui souvent d’ailleurs pense à bien en eméttant son jugement plus ou moins éclairé il faut l’admettre. Et ce sera bien trop souvent sa manière à lui de « participer ». Au fond, chaque voyageur devrait plutôt adopter la posture d’un ethnologue en herbe, en s’immergeant plus profondémment dans la culture locale, en essayant de la comprendre, ou au moins en s’y intéressant un minimum. Il devrait alors tenter de se muer en un apport positif, selon ses propres moyens, qu’ils soient financiers, matériels ou plus simplement humains. Lors d’un tel voyage, il est impossible de rester totalement indifférent aux différences qu’on rencontre au quotidien, et parfois on se sent dépassé par le gouffre qui sépare nos modes de vie, que cela soit vu par le biais de la précarité, en terme d’éducation, ou simplement culturellement. Durant notre voyage, nous avons été à plusieurs reprises proche de la population, de leurs préoccupations quotidiennes, principalement lors des treks, et on peut alors plus facilement mesurer le chemin qui nous sépare de leur réalité quotidienne. Personne ne semble à première vue malheureux, les visages sont la plupart du temps ouverts et souriant, et l’accueil toujours chaleureux. Mais encore une fois nous n’avons fait que passer. Est-ce une façade qui cache un désarroi interieur ? Nous ne le croyons pas. Mais ce qui est sûr c’est que le sourire qui est collé aux lèvres de la grande majorité des habitants rencontrés nous semble vrai et souvent bien plus sincère et naturel que par chez nous. Une telle attitude face à des conditions de vie et une histoire rarement facile, nous on réellement touchée. C’est ainsi que l’envie de participer plus activement et pouvoir être un peu plus proche de la population et de la vie locale nous a gagné progressivement. Nous avons eu l’occasion d’être mis en contact avec Bel, le président de l’association KILT à Siem Reap, par le biais d’une connaissance en Suisse (Merci à Philippe et Amélie et leur association Humanisma) venant en aide à KILT, cette petite association locale, qui accueille des enfants défavorisés de la région de Siem Reap et propose de venir en aide aux personnes mutilés par les mines antipersonnelles. On a donc décidé de consacrer un peu de notre temps à cet homme et son magnifique projet de donner une chance et un avenir à ceux qui n’en n’avait pas jusqu’ici.
We Work it @ KILT
C’est quoi KILT ?
KILT signifie Khmer Independent Life Team
La première mission de l’association est de venir en aide aux personnes mutilées par les mines anti-personnelles, mais également d’accueillir des enfants pauvres ou orphelins de la région de Siem Reap, en leur permettant de poursuivre leur scolarité, ou simplement d’y avoir accès, et ainsi de leur donner la possibilité de choisir un métier plus tard et d’être heureux. C’est par ces mots que Bel présente son travail. Il veut pouvoir offrir une chance d’avenir aux enfants les plus démunis, une main tendue que lui n’a pas eu durant son enfance. D’autre part, étant lui-même mutilé et ayant eu de grandes difficultés à trouver un travail, il a créé cette association afin de proposer un travail et un revenu à d’autres personnes mutilées par les mines, en créant et produisant un artisanat local (bijoux, peintures) dont la vente permet notamment de financer l’accueil et l’éducation des enfants qu’il recueille sous son toit. Vous pouvez découvrir leurs création sur le site ici ou leur page Facebook ici.
Monsieur Bel
L’histoire de cet homme est à peine croyable, et pourrait être tout droit sortie d’un film. Lors de notre première visite à l’association, Bel a pris le temps de nous raconter son histoire et les raisons qui l’ont poussé à fonder cette association. Elle est sa force, son identité et son essence, et c’est pourquoi il nous a semblé essentiel de la partager, avec le plus d’exactitude possible. Elle reflète également l’histoire récente du pays, terrible et dramatique à la fois, qu’on a presque déjà oubliée en occident, et qui pourtant s’est déroulée il n’y pas quarante ans. C’est d’une manière apaisée et en paix avec son passé que Bel nous raconte les événements qui ont marqué sa vie et qui ont fait de lui un homme fort, extrêmement courageux et généreux, et qui font qu’il en est arrivé là aujourd’hui.
Bel est né dans un petit village de la campagne cambodgienne, aux alentours de Siem Reap. Il est le dernier de sa famille. Sa mère décède lorsqu’il a à peine 2 ans, c’est à partir de cet événement tragique que sa vie prend une toute autre tournure. Son père se remarie, mais sa nouvelle femme n’accepte pas du tout ce petit garçon issu d’un autre marriage. Bel est donc rejetté et se voit obligé de vivre tout seul dans un village voisin, sans toit et sans nourriture, et cela à l’âge de 3-4 ans. Durant quelques temps, il se nourrit des restes de nourriture laissées aux animaux dans les auges. Il vit grâce à l’aide de quelques villageois, qui de temps en temps le laisse se laver (1 à 2 fois par mois). Il nous explique qu’à cause de ces conditions de vie, il avait une croissance en dessous de la moyenne et de très gros problèmes d’estomac, le ventre gonflé par les vers… A l’âge de 6 ans, en échange d’un coup de main pour surveiller du bétail, il est accueilli chez l’un des villageois. Il a enfin un vrai toit et de la nourriture à disposition. Un jour alors qu’il n’a que 7 ans, il se balade avec le bétail dans les champs autour de son village et marche sur une mine antipersonelle. Il ne comprend pas tout de suite ce qu’il se passe. Il voit une vache voler et un arbre exploser. Il se sent tout bizarre et humide, et s’aperçoit que l’humidité qu’il ressent est en fait du sang et qu’il en est recouvert, son corps le brûle de partout. Le problème est qu’il se trouve à 10 km du village, il se retrouve donc là, seul, avec une jambe déchictée et une plaie béante à l’estomac. Les « secours » arrivent peu de temps après, des khmers rouges, qui lui disent de ne pas bouger car il y a sûrement d’autres mines juste à côté. Et en effet, les mines étaient souvent posées en groupe sur une petite surface, et là ils y en avaient effectivement d’autres. Comme il nous l’explique, s’il était tombé, il serait probablement mort. Lorsqu’ils le ramènent enfin au village, tous pensent qu’il ne passera pas la nuit. Bel nous raconte qu’il ne pouvait ni parler, ni pleurer, et il devait garder sa main sur son estomac, déjà en partie à l’air libre, pour éviter que sa blessure ne s’ouvre encore plus. Il entendait les gens parler autour de lui comme s’il n’était déjà plus de ce monde, et vu son état, le médecin refusait de lui administrer des médicaments afin de ne pas en utiliser inutilement. Lors de son réveille le lendemain matin, il s’etonne d’être encore en vie et se dit que ce n’est qu’un court répis. On l’emmène donc à l’hôpital de Siem Reap, où il est soigné durant quelques jours grâce son père qui prend en charge ses soins. C’est là qu’en se réveillant, il se rend compte qu’il n’a plus sa jambe. Il a pleuré des jours entiers en se demandant comment sera sa vie future. Faute de moyens suffisant, après une semaine, il doit quitter l’hôpital et continuer sa convalescence chez son père qui lui adminstrera les soins à domicile. Il se remet gentiment et commence alors un long apprentissage pour se déplacer sur une seule jambe. Le plus dramatique est le fait que les personnes mutilées sont souvent rejetées, il ne voit plus ses amis et doit apprendre seul à marcher avec sa bequille, le soir, à l’abris des regards. Chassé encore une fois par sa belle mère, il doit trouver le moyen de subsister par lui-même. Il essaie de se rendre dans une école, dont les cours sont donnés à l’ombre d’un arbre. L’instituteur lui répond qu’il peut rejoindre la classe à condition qu’il ait un uniforme et son matériel scolaire. Etant donné qu’il n’a pas d’argent, impossible pour lui de se les procurer et il doit alors trouver un moyen d’en gagner. Il s’essaie à la pêche avec le filet d’un villageois qui lui prête, mais sans succès, l’accès aux endroit poissonneux et la manipulation du matériel étant trop difficile à cause de son handicap. Il se rend à un marché et voit qu’il pourrait vendre des fruits. Là encore, le transport de pastèques sur son vélo, et l’équilibre précaire qu’il a, rendent son entreprise impossible et les fruits finissent éclatés par terre. Il en pleure et ne voit pas de solution. Enfin, il croise quelqu’un assis sur une chaise qui vend des tickets de loterie dans la rue. Il demande si, lui aussi, pourrait en vendre et comment cela se passe. On lui explique que c’est très simple, qu’il suffit d’écrire le numéro du ticket et le nom de la personne qui l’achète et de tenir un registre à jour. Encore un décéption, car il ne sait ni lire ni écrire. Il trouve alors une vieille dame dans son village qui accepte de lui apprendre. Il travaille très dur tous les jours et apprend très vite. Quelques temps plus tard, il peut se lancer dans la vente de ses premiers tickets de loterie, gagner ses premiers sous et enfin aller à l’école. Il est ensuite receuilli par Monsieur Akira, un ancien Khmer rouge repentit, ayant lui-même posé des mines et qui s’est reconverti dans la lutte anti-mine en créant le musée des Mines à Siem Reap (Cambodia Landmine Museum, qu’on peut encore visiter aujourd’hui au nord des temples d’Angkor). Bel est complètement tétanisé à l’idée de voir des mines et Monsieur Akira lui explique et lui démontre qu’elles sont sans danger, désarmées et qu’il ne court aucun danger. Ce monsieur va l’accueillir, le loger et lui financer ses études. C’est également à ce moment-là qu’il fait, pour la première fois, la rencontre de bénévoles occidentaux. Au départ, il n’osait pas les approcher, car lorsqu’il était petit, on lui avait raconté que les « blancs » étaient enfait des géants et que s’il se faisait attraper, ils le mangeraient. Bel nous explique qu’il ne comprenait pas pourquoi ces personnes venaient les aider, et notamment leur enseigner l’anglais, sans contrepartie. C’est notamment, la rencontre avec une bénévole anglaise, qui lui permettra de créer les premiers contacts avec ce monde dont il ne connaissait rien, et ainsi d’apprendre l’anglais. Par la suite, il apprendra également à utiliser un ordinateur, et terminera sa scolarité et l’université. Il se met donc à la recherche d’un travail, mais malgré ses qualifications, toutes les portes se referment devant lui sans qu’on lui donne d’arguments particuliers. Il comprend bien vite que son handicap en est la raison. En effet, les personnes mutilées sont mals considérées dans le pays, et il se rend vite compte qu’il n’a aucun avenir. Cette période de sa vie a été très dure et il avoue lui-même qu’il a pensé à mettre fin à ses jours. Mais, il a su trouver la force de contourner encore une fois les obstacles que la vie lui a imposée. Comprenant qu’il ne pouvait alors plus que compter sur lui-même, il s’en est allé dans les montagnes chercher des pierres semi-précieuses afin de fabriquer des bijoux à vendre aux touristes venant à Siem Reap visiter les temples d’Angkor. Cette entreprise lui a plutôt bien réussie, jusqu’à ce que certains commencent à copier son idée. Mutilé et ayant des difficultés à trouver un emploi, il n’est, malheureusement, pas un cas isolé. Il a alors créer l’association KILT afin de s’entourer d’autres personnes mutilées et développer un artisanat local. Il a dans le même temps commencé à acceuillir des enfants orphelins ou dans la précarité afin de les aider en leur offrant un toit et un financement pour aller à l’école. Actuellement plusieurs artistes travaillent avec lui, et pas moins de 15 enfants et adolescents vivent sous son toit, avec sa femme Chandra, son fils et sa fille. Il a récemment emménagé sur un nouveau terrain qu’il a pu acquérir grâce au soutien des associations suisses Humanisma et Roul’espoir, et dont le président d’Humanisma, Philippe Jacquey nous a mis en contact avec lui. Bel est né le 12 décembre 1986, date de naissance qu’il a choisi lui même car personne n’a pu lui dire exactement sa date de naissance. C’est un homme humble, au cœur incroyablement beau et grand et au courage sans limite. Nous avons été très touché et passablement remué par son histoire, qu’il raconte avec un légerté particulière. On est alors forcé de constater que notre vie à nous semble bien trop facile. Bel est un véritable héros et nous a offert une magistrale leçon de vie qu’on ne veut jamais oublier.
“La vie, le malheur, l’isolement, l’abandon, la pauvreté, sont des champs de bataille qui ont leurs héros ; héros obscurs plus grands parfois que les héros illustres.” Victor Hugo
We Are KILT !
Les enfants accueillis par Bel et sa femme, Chandra, viennent tous de la région de Siem Reap et Tonlé Sap. Tous issus de familles pauvres, voir pour certains orphelins, n’ayant pas les moyens de payer et donc de suivre leur scolarité, Bel a pris la décision de les accueillir, de les aider et de financer leur éducation, afin de leur offrir une chance d’avenir. On a ainsi découvert des jeunes et des enfants de tout âge, magnifiques, souriant et plein de vie, et ayant une volonté commune, avoir le choix de leur avenir. Vous pourrez découvrir leurs visages et leurs rêves d’avenir à la fin de notre vidéo.
Quatre jours avec KILT
Arrivés le premier jour à l’association, soit chez Bel et Chandra, on prend le temps de découvrir les lieux mais surtout d’entendre l’histoire de Bel et de KILT. Après ce premier contact, on se sent assez bizarre, comme dans un autre monde. Comment ne pas sortir boulversé de cette rencontre et de cette réalité qui nous a frappée en plein coeur. Cela semblait presque irréaliste, cette confrontation à un passé si lourd, si impressionnant et si dramatique à la fois, mais surtout être face à un homme si fort et si courageux, à qui la vie n’a fait aucun cadeau. On ne peut qu’être admiratif et se sentir tout petit face à ce si grand Homme qu’est Monsieur Bel !
Nous avons passé les jours suivant chez eux, à l’association, à donner des cours d’anglais et s’occuper des enfants (Nath), enfin surtout à s’amuser et danser. Pour Lorin, le travail était un peu plus physique car il fallait aider à creuser des trous qui
allaient accueillir les eaux usées pour les futurs sanitaires. Le premier jour, Joanna, Ronan et Sarah (rencontrés à Kratie et au Bamboo Hut, voir ici), sont également venu donner un petit coup de main à l’association. Au final, nous avons passé quatre jours, qui se sont écoulés à toute vitesse, à partager des moments incroyables et surtout qui nous ont permis de nous confronter à une réalité de vie bien différente de toutes celles que nous avons pu découvrir jusqu’ici.
Encore un énorme MERCI à Bel et toute sa grande famille pour cet acceuil si chaleureux, cette gentillesse sans limite et cette force de vivre.
Si vous aussi vous désirez soutenir l’association, vous pouvez le faire de différentes manières :
- Par un don, directement sur leur site internet ici
- Par du bénévolat sur place (prendre contact sur leur site, ou avec nous par mail et on transmettra avec plaisir les coordonnées de Bel)
- Par une commande de bijoux, peinture ou accessoires (voir sur leur site ici et prendre contact avec nous par mail)
- Par l’envoi de matériel (habits, ordinateur, matériel scolaire, etc…, prendre contact avec nous par mail pour qu’on vous transmette les coordonnées de l’association).
- En passant sur place leur rendre visite à l’association ou au « Made in Cambodia Market » à Siem Reap pour découvrir leur artisanat (tous les mardi, jeudi et samedi devant l’hôtel Shinta Mani).
On compte sur vous!